
Il y a quelques temps, je suis tombée sur un article de blog dans lequel une mère exposait son avis sur l’inégalité de la répartition des tâches familiales entre hommes et femmes. Elle y expliquait 2 choses qui ont retenu mon attention.
La première était que son mari assumait nettement moins de tâches familiales qu’elle, et que le peu qu’il faisait, il le faisait mal.
La seconde était que son mari lui avait fait remarquer qu’elle lui faisait énormément de reproches, mais qu’il n’entendait jamais de « merci » pour ce qu’il réalisait. Elle avait trouvé cette remarque très déplacée. Car selon elle, il était normal – et la moindre des choses ! – qu’il participe aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants et à ce titre, elle ne voyait vraiment pas pourquoi elle devait le remercier !
Le premier élément a fait écho avec un ouvrage que je venais de lire sur la co-parentalité. Son auteur, Nicolas Favez, explique la position parfois paradoxale des mères vis-à-vis de leur conjoint : « D’un côté, les recherches montrent de façon récurrente que les mères se plaignent du manque d’engagement des pères et qu’elles se sentent délaissées pour assumer les tâches familiales (…), de l’autre, l’intériorisation de l’attente sociale du rôle de la mère fait qu’en même temps, nombre de femmes se plaignent lorsque l’engagement du père augmente du fait qu’elles se sentent dépossédées d’un domaine qui est le leur. » (Favez, N., Psychologie de la co-parentalité, p.86). Autrement dit, les mères se plaignent souvent de l’absence d’implication des pères, mais ont de la difficulté à leur laisser de la place lorsqu’ils souhaitent d’investir, car cela met en danger leur « valeur » en tant que mères. Elles peuvent donc, inconsciemment, mettre en œuvre toutes sortes de choses pour garder la mainmise sur leur « territoire ».
Je me suis, je l’avoue, en partie reconnue dans ce paradoxe. Je peux, par exemple, désirer que D. assume une partie des tâches familiales, mais ne pas réussir à « lâcher » ces mêmes tâches, et les superviser d’une manière un peu maladroite. Par exemple, alors même que dans notre organisation nous avions décidé, entre autres, que D. s’occupait de L. le mardi matin avant l’école, voici comment cela s’est passé la première fois: Le projet était : je peux me reposer, ou vaquer à mes occupations. La réalité a été : je me suis levée avant tout le monde, j’ai préparé le déjeuner, les affaires de L. pour l’école, sa récré, ses habits pour la journée… et j’ai à maintes reprises fait des remarques sur ce qui n’était pas fait tout à fait comme j’estimais qu’il fallait que cela soit (la coupe de cheveux de L., par exemple).
Résultat : aucune diminution de charge pour moi, et un certain ras-le-bol du côté de D. En gros, le parfait engrenage pour j’ai le sentiment de devoir tout assumer, et pour passer à D. l’envie de s’investir. Or dans ce cas précis, celle qui créait cette situation, c’était moi, en m’accrochant à mon « job de mère » sans réussir à lâcher du lest.
Car concrètement, est-ce que je considère que D. fait les choses mal ? Fondamentalement, non. Est-ce que je pense que ma manière de faire est meilleure ? Souvent, oui. Comme tout le monde, en fait. Si nous faisons les choses à notre manière, c’est bien parce qu’elle nous semble être la meilleure. Pour autant, puis-je concevoir que « différent » n’est pas égal à « moins bien ? ». Oui. Moyennant la capacité de remettre les choses en perspective, et de me remettre en question. Moyennant un peu de lâché prise.
Je ne connais pas le mari de cette dame et ne peux donc pas assurer qu’il fasse « bien » les choses. Sur leur équilibre, je ne peux pas m’exprimer non plus, si ce n’est en me demandant comment celui-ci a été réfléchi, pour qu’elle se sente à ce point « lésée ». Je peux en revanche lier leur histoire à une dynamique, fréquente dans les couples parentaux, où la femme a du mal à concevoir que son mari puisse faire les choses différemment d’elle, et accepter cette différence comme une richesse pour les enfants davantage que comme un problème. J’ai entendu de nombreux hommes fatigués de recevoir des reproches alors même qu’ils font de leur mieux pour trouver leur place et se sentir utiles au sein de la famille. J’en ai vu mettre beaucoup de bonne volonté pour s’investir auprès des enfants et dans le foyer et recevoir des remarques désobligeantes de la part de leur femme, qui considère qu’ils ne sont pas adéquats / pas assez doux / pas assez stricts / qu’ils ne jouent pas assez avec les enfants / qu’ils jouent trop avec les enfants / qu’ils ne rangent pas la casserole au bon endroit / qu’ils ont mis la petite dernière à la sieste 15 minutes trop tard / qu’ils ne font rien avec les enfants / qu’ils en font trop avec les enfants …
Qui a envie de donner de soi, alors que ce qui est fait est quasi systématiquement sujet à des reproches ?
Ce qui m’amène au second élément : remercier, ou non, son conjoint pour ce qu’il fait, même s’il en fait moins que nous. Est-ce impensable ? A mon sens, la seule question à se poser par rapport à cela est la suivante : qu’ai-je à gagner ou à perdre, en le remerciant ?
A gagner : De la douceur – c’est souvent l’effet que produit un merci. Un sentiment de reconnaissance chez votre conjoint. Son envie de continuer à s’investir. Son sentiment que cela vaut la peine de le faire.
Car rappelons une chose : jusqu’à il y a peu, le rôle des hommes n’était pas à la maison. Les hommes qui sont pères aujourd’hui n’ont pour la plupart pas du tout eu l’exemple d’un père présent et investi dans les tâches familiales. Ils se construisent en tant que pères et co-parents en se basant en partie sur les attentes de leurs femmes, en partie sur ce que la société leur donne comme injonction, mais très peu sur un modèle qu’ils pourraient suivre et reproduire à l’identique. Loin de moi l’idée de dire que tout coule de source pour les mères, ni de minimiser les difficultés qu’elles peuvent rencontrer dans leur rôle parental. Mais il convient d’avoir à l’esprit que toutes les générations précédentes nous ont transmis quelques prédispositions, et des exemples que les hommes n’ont pas reçus. A ce titre, le regard que la femme porte sur l’investissement de son conjoint – et sa manière de le verbaliser positivement- peut avoir un réel impact positif sur lui. « Plusieurs études ont ainsi montré que l’encouragement de la mère est plus déterminant pour l’engagement paternel que les croyances que le père a de lui-même quant à son rôle. (…) L’engagement paternel ne va ainsi pas de soi, même dans les familles avec une idéologie égalitaire (…) » (ibid., p. 85)
Qu’a-t-on à perdre à dire merci ? Réellement ? Je peux concevoir que cela ne nous vienne pas spontanément, surtout lorsqu’on a l’impression d’un grand déséquilibre dans la répartition des tâches familiales. Que cela puisse nous donner l’impression de valider ce qui se passe, et de nous priver de la reconnaissance que nous attendons pour tout ce que nous fournissons comme travail. Mais est-ce le cas ? Est-ce qu’en disant « Merci » à D. parce qu’il a vidé le lave-vaisselle je me prive de sa reconnaissance pour d’autres choses que j’aurais faites ? Est-ce que le fait de le remercier de s’être occupé de L. alors que j’étais en sortie signifie que je suis ok avec tout ce qui se passe dans notre foyer, et que rien ne doit être remis en question ?
Je ne crois pas.
Je crois en revanche – ou pour être honnête, je suis convaincue – que le fait d’exprimer de la reconnaissance a un impact positif sur le couple, en dépit des déséquilibres qui doivent être discutés / réglés. Lorsque je prépare un diner et que D. me remercie, cela me fait du bien. Lorsque je me suis levée la nuit pour rassurer L. après un cauchemar et qu’il me remercie, cela me fait du bien. Lorsqu’il va chercher L. à l’école pour que je puisse partir plus tôt pour tel ou tel rendez-vous et que je le remercie, il se sent bien. La reconnaissance apporte de la légèreté, et témoigne de la valeur que nous mettons derrière tous les petits et grands efforts faits par l’autre. Elle fluidifie le dialogue, et la dynamique entre nous. Elle permet aussi de pouvoir se dire les choses qui dérangent lorsque c’est nécessaire, sans être sur un terrain miné par une multitude de petits reproches en amont.
Voir ce qui va plutôt que ce qui ne va pas n’est pourtant pas un naturel chez l’être humain. De par notre héritage animal, nous sommes câblés pour être attentifs à tout ce qui est négatif pour nous (à la base, cela nous servait à remarquer les dangers dans notre environnement. Vous savez, un tigre par exemple, qui nous trouvait appétissant…). Remarquer ce qui va bien nécessite donc un effort conscient. Le verbaliser également. Mais il s’agit surtout d’une habitude à prendre, d’un état d’esprit à adopter.
Sans basculer dans le monde des bisounours, je peux vous assurer que cet état d’esprit a rendu notre quotidien plus harmonieux, plus bienveillant. Il donne à chacun l’envie de donner le meilleur de lui-même, à l’inverse des reproches permanents qui peuvent engendrer du désinvestissement et du minimalisme.
Sur ces belles paroles, je vous remercie, chères lectrices, chers lecteurs, d’avoir pris le temps de me lire, et je vous souhaite une très belle journée, remplie de reconnaissance 🙂
Toujours aussi bien tes articles! Merci! Vous allez bien? Des becs Carine
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Merci Carine! Oui, merci, tout en douceur 🙂
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Quel magnifique texte! Je suis certaine que cela marche pour la co-parentalité; en tout les cas, pour le couple aussi 🙂 Merci pour la piqûre de rappel. Ton texte m’a beaucoup touchée. Bravo pour ton travail avec D, et merci pour ce partage qui me fait tout chaud au coeur. Becs Nadine
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Merci Nadine pour ce retour! 🙂
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