Génial, mon enfant s’ennuie!

Mardi, 1ère semaine des vacances de Pâques, fin de matinée.

Assises à la table de la cuisine, L. et son amie du même âge sont affairées : Elles se sont donné pour mission de trier, sur la table, le contenu d’une casserole en jouet contenant du riz et des cornettes crues.

L’une fait un tas avec les cornettes, l’autre avec les grains de riz. Et en même temps qu’elles trient, elles profitent pour compter leur butin. L. s’arrête à 112 cornettes, son amie à 78 grains de riz.

Durant l’après-midi, je travaille depuis la maison, L. joue seule dehors. Elle s’est confectionné un parcours hippique fait de pots de fleurs à l’envers, de planches, et d’arceaux qui servent habituellement au jeu de criquet. Elle fait le petit cheval, ses doudous sont spectateurs…

Durant ces deux moments, je me fais la réflexion que la capacité d’imagination et de créativité des enfants est décidément sans limites. Que de quasi rien, ils sont capables de créer un jeu, une activité, un univers, et de s’y affairer durant des heures, pour autant qu’on ne les interrompe pas.

Pourtant, juste avant l’arrivée des vacances, j’entendais des parents s’inquiéter de la manière dont ils pourraient bien occuper leurs enfants durant deux semaines. Cela semblait un réel défi, particulièrement pour les parents qui avaient choisi de passer leurs vacances à domicile.

Je crois que ces inquiétudes sont en fait révélatrices d’une tendance générale de notre société à vouloir occuper en permanence les enfants. Partant d’intentions tout à fait louables – leur faire apprendre un instrument, faire un sport, prendre des cours de dessins, s’ouvrir à la culture, apprendre une autre langue, … – nous imposons parfois à nos enfants, durant les semaines scolaires, des rythmes de vie intenses et très remplis, dans lesquels il n’y a pas de place pour le … rien. Nous-même, étant généralement très inconfortables avec l’ennui – notre propre rythme de vie en témoigne -, nous pensons bien faire en l’épargnant à nos enfants, et en leur proposant de multiples alternatives pour ne pas s’y confronter.

Les intentions sont bonnes, mais les résultats parfois à double tranchants. Car s’il est évident qu’éveiller un enfant à la culture, à l’art, et lui permettre de faire une activité physique sont des choses positives, il est aussi évident que leur surdosage a des effets néfastes sur l’enfant. Le premier et le plus évident, durant des semaines surchargées, est l’apparition potentielle du stress : l’enfant doit rapidement passer de la maison à l’école, de l’école au goûter, du goûter à la flûte, de la flûte aux devoirs, des devoirs au souper, du souper au lit… Il doit penser à ses affaires, être à l’heure aux différents rendez-vous, terminer ses devoirs dans les temps … Et je ne parle là que des activités extrascolaires de loisirs, mais parfois s’y rajoutent des rendez-vous médicaux, de la logopédie, de la physio…

Je parle du stress des enfants, mais lorsque ce type de journée se répète tous les jours de la semaine, il induit un stress dans toute la famille. Surtout lorsqu’il y a plusieurs enfants et que les activités se déroulent à des heures et dans des lieux différents.

Le second effet est que les enfants, justement, n’ont plus le temps de ne rien faire. Leur cerveau est activé en permanence, mobilisé pour mener à bien toutes les obligations du jour, et ils n’ont à aucun moment à se demander comment occuper leur temps libre. Or, il est reconnu que le fait d’avoir du temps libre, du temps pour jouer, est nécessaire au bon développement de l’enfant. Cela permet, dans un premier temps, à son cerveau de faire une pause. De faire redescendre le niveau de stress potentiellement induit par un rythme d’activités soutenu. Et cela lui permet ensuite… de s’ennuyer. De ne pas savoir quoi faire. De se retrouver face au vide, face au rien.

Si vous parvenez à les laisser gérer cela – en restant dans la bienveillance, l’idée n’est pas de les envoyer valser sous prétexte que l’ennui est bon pour eux – en leur assurant que vous avez confiance en eux pour trouver comment tirer le meilleur parti de ce temps, vous leur rendez un grand service. Celui de pouvoir développer 3 capacités essentielles :

  • Leur créativité et leur imagination : un enfant qui ne fait rien va rapidement porter son attention sur son environnement, et l’utiliser – comme les pots de fleurs et les planches – pour créer un monde dans lequel s’amuser. Avoir un monde imaginaire riche et créatif est source de bien-être pour les enfants, et ces capacités lui seront utiles tout au long de sa vie.
  • Leur capacité à bien se vivre seul/e : une capacité que beaucoup d’adulte n’ont pas développé ou ont perdu, et qui implique qu’ils ne supportent plus 5 minutes de solitude – c’est-à-dire 5 minutes en tête à tête avec eux-mêmes. A la base, être seul permet de se connaître, de développer son langage interne et ses pensées, d’apprivoiser la personne que l’on est pour pouvoir l’apprécier. Un cadeau précieux pour toute la vie !
  • Leur autonomie : En les laissant trouver par eux-mêmes des moyens de s’occuper, en ne cherchant pas à leur place, vous leur prouvez qu’ils sont capables de se prendre en charge et renforcez leur sentiment d’autonomie. Dans le même temps, vous sortez d’une dynamique dans laquelle vous êtes responsable à temps plein de leurs occupations, ce qui peut considérablement baisser votre propre stress.

Parfois, la raison qui pousse les parents à éviter à tout prix l’ennui de leurs enfants et qu’ils culpabilisent s’ils ne sont pas en train de les occuper, de jouer avec eux, de leur consacrer du temps. Comme je l’ai expliqué dans l’article Poser des limites, trop ou trop peu ?, notre rapport à nos enfants est aujourd’hui très différent de celui des générations précédentes : nous leur accordons beaucoup plus de temps, nous nous investissons énormément dans leur éducation, leur éveil, leur stimulation… le simple fait que vous soyez en train de lire cet article en témoigne J Et il est parfois difficile de prendre un pas de recul et de se dire que nous ne sommes pas des parents indignes si nous ne sommes pas les GO de nos enfants. Vous avez le droit, chers parents, de laisser vos enfants s’ennuyer et ce, même si vous-même n’êtes pas occupés !

Il est évident que tout est question de dosage et que l’idée n’est pas de les abandonner à eux-mêmes durant toutes les vacances. Mais quelque chose me dit que si vous suivez ce blog, vous êtes plutôt dans la tendance à en faire plus… que pas assez.

Enfin, petite nuance pour terminer : des enfants qui ont l’habitude d’être très occupés, ou de se rabattre sur leurs écrans dès leurs activités terminées, seront sans doute plus susceptibles de rapidement s’ennuyer, que des enfants qui ont davantage l’habitude de jouer seuls ou à plusieurs sans guidance ou interférence des adultes. Ne désespérez pas : il leur faudra peut-être un peu plus de temps, mais avec votre soutien, ils parviendront à se reconnecter à leurs élans naturels de créativité et d’imagination. Par soutien, j’entends dans un premier temps les aider à réaliser toutes les potentialités de jeux qui s’offrent à eux, simplement en les listant avec eux, ou en les aidant à préparer le matériel dont ils ont besoin pour jouer. Petit à petit, ils prendront l’habitude de faire ce cheminement par eux-mêmes, et deviendront capables de gérer leur ennui à leur manière. Et si cela veut dire se trainer par terre dans la cuisine pendant 25 minutes, pas de panique : c’est aussi une manière de ne rien faire, de se vider la tête, de « méditer », façon enfant. C’est parfois un peu déstabilisant, mais à nous de lâcher prise pour ne pas souhaiter à leur place la meilleure manière de s’ennuyer.

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