Je n’ai qu’un enfant… et ce n’est pas pour sauver le monde

L. a 6 ans. Et je ne veux pas d’autre enfant.

La question qui va vite vous venir à l’esprit, lorsque j’affirme cela, c’est : Pourquoi ?

Et sans doute que tout aussi vite, vous allez faire des suppositions :

  • Cela s’est mal passé avec la première, donc elle a peur de remettre ça
  • Elle a un souci de santé
  • Elle n’est plus avec le père de sa fille
  • Elle a des soucis d’argent
  • Elle a fait des fausses couches et ne veut plus vivre cela
  • Elle veut éviter la surpopulation de la planète

Pour ceux qui vont directement me poser la question, je répondrai : « Parce que je suis heureuse comme cela. »

Là, deux catégories vont se former : celle des gens qui comprennent, et celle, plus large, de ceux qui ne comprennent pas. Parmi eux, une partie se contente d’être dans l’incompréhension, une autre entre dans le jugement :

  • C’est égoïste de ne faire qu’un enfant
  • Elle n’a pas réussi à développer son instinct maternel
  • Elle est trop carriériste
  • Elle se fait tellement bouffer par sa fille qu’elle ne peut pas imaginer en avoir une deuxième

Ces jugements s’accompagnent d’inquiétudes pour l’enfant unique que mon conjoint et moi élevons :

  • Elle va devenir pourrie gâtée
  • Elle aura trop d’attention
  • Elle ne saura pas jouer avec les autres enfants
  • Elle va se sentir seule et déprimée

J’ai lu beaucoup de textes rédigés par des mères d’enfant unique qui déchargeaient leur ras-le-bol et colère face à ces incompréhensions et jugements, et qui menaçaient de sauter au cou du ou de la prochaine qui leur demanderait « C’est pour quand, le deuxième ? ». Je comprends le ras-le-bol de ces mères, mais j’admets comprendre aussi les incompréhensions et les jugements qui se posent sur cette configuration familiale.

Pourquoi ? Parce qu’il est tellement socialement ancré dans notre culture qu’une famille « normale » se compose de deux parents et de deux enfants, que ce qui s’en éloigne pose automatiquement question. C’est une logique qui s’applique à tout type de norme : si la norme, dans votre pays, est de manger du pain et de la confiture au petit déjeuner, vous allez sans doute être étonné face à quelqu’un qui mange du hareng fumé. Vous allez peut-être même lui demander pourquoi, et s’il ne trouve pas que c’est quand même un peu bizarre de manger du poisson le matin.

C’est pareil pour l’enfant unique : la norme, c’est deux enfants. Le titre même de cet article en atteste : lorsque je dis que je ne veux QU’un enfant… c’est parce que je me situe par rapport à la norme. Tout écart à la norme suscite des questionnements. Et si je comprends ceux des autres, c’est qu’ils viennent parfois m’assaillir aussi. Je fais partie d’une société qui me dit : Deux enfants, c’est bien. Comment ne pas en déduire : un enfant, ce n’est pas bien. Il y a quelque chose qui cloche.

Alors je me suis périodiquement posé la question : Y a-t-il quelque chose qui cloche chez moi ?

Si j’écoute mes tripes, si je discute avec mon conjoint, tout est très clair : nous sommes bien ainsi, les 3. Mais quand je regarde autour de moi, quand j’attends ma fille unique à la sortie de l’école et que je vois les autres enfants rejoindre leurs frères et sœurs, je ne peux m’empêcher de penser : est-ce que je la prive de quelque chose de précieux ?

La dérive peut aller vite de se dire : pour elle, ce serait bien, un deuxième.

Mais a-t-on déjà réellement réfléchi à ce que cette phrase veut dire ?

  • Je fais un enfant POUR mon enfant – une sorte de cadeau vivant. Quel poids pour ma fille, que de se sentir à l’origine d’une décision qui impacte la vie de toute la famille, et ce dès son plus jeune âge.
  • Je fais passer l’envie de ma fille – compréhensible- avant celui de mon couple parental, qui va prendre soin d’elle. Autrement dit, je mets en péril un équilibre qui fonctionne et qui nous satisfait pour répondre à un hypothétique besoin de mon enfant.
  • Que dire du statut de « cadeau » du deuxième, qui n’est pas le résultat d’un réel désir de ses parents mais d’une crainte de blesser leur premier enfant par le manque ?
  • Faire un enfant pour que ma fille ait un frère ou une sœur signifierait que cela serait forcément positif pour elle. Il y a, c’est vrai, des cas d’enfants uniques qui en ont beaucoup souffert. Mais il y a au moins tout autant de cas de frères et de sœurs qui ont subi la présence de leur fratrie tout au long de leur vie et n’en ont retiré que manque de confiance en eux et colère.

Finalement, quand je me demande si je la prive de quelque chose de précieux, c’est uniquement parce que je pense en termes de comparaisons. Sa réalité à elle, c’est de vivre seule avec ses parents. Elle n’a pas connu de relations fraternelles, et à ce titre, elles ne peuvent pas lui manquer. Lui faire envie, oui. Lui manquer, non. Vais-je baser le décision de faire un deuxième enfant sur l’envie de ma fille ? Certainement pas. (et ce, même si j’ai grandi avec un grand frère avec qui j’ai une excellente relation – love you bro ;))

Incroyable n’est-ce pas, le nombre d’arguments que je dois mobiliser « contre » moi-même, contre ces pensées qui me disent que ce n’est pas normal… pour que mon cerveau et mes tripes s’entendent. C’est que cette norme est un héritage de très longue date, associé à la fois à des aspects historiques et religieux. Le sociologue François de Singly explique, dans une interview donnée à La Croix, que l’enfant unique n’a jamais été un modèle, et a été stigmatisé tout au long de l’histoire. En France par exemple, après la guerre de 1870, les familles devaient repeupler le pays ; celles qui n’avaient qu’un enfant ne remplissaient donc pas cette mission sociale. Plus tard, après la première guerre, les catholiques opposaient la famille nombreuse, ouverte et généreuse, à la petite famille, repliée sur elle-même et égoïste. A ceci s’ajoute l’idée millénaire est quasi universelle selon laquelle la femme est faite pour enfanter, et pour enfanter beaucoup. Jusqu’à ces dernières décennies, ou la population mondiale est devenue trop conséquente, les patries se réjouissaient de voir leurs concitoyennes élargir la taille de leur population – et potentiellement agrandir les rangs de leur armée… donc augmenter leur puissance.

Le nombre de familles qui aujourd’hui n’ont qu’un enfant est pourtant bien plus élevé que par le passé. Selon l’OFS en Suisse en 2018, il constituait environ le 15% des familles dont les parents avaient entre 50 et 59 ans… et la tendance est nettement à la hausse. Et que dire de cette norme de la famille papa maman deux enfants (si possible un garçon une fille) ? Peut-on réellement dire qu’elle représente encore la majorité des situations familiales ? Je n’ai pas de statistiques à l’appui, mais il me semble qu’elle devient gentiment obsolète. Je suis cependant consciente que même obsolète, elle persistera encore durant de nombreuses années, et que beaucoup de femmes – et je parle davantage de femmes car le jugement social se porte plus sur elles que sur les hommes – qui comme moi ne souhaitent qu’un enfant continueront de se demander, ou de devoir répondre à la question : Mais pourquoi ?

Aujourd’hui, une parade est trouvée : pour justifier de ce choix étrange, certaines femmes affirment que c’est par souci pour l’environnement. Je ne doute pas que pour certaines cela soit vrai. Je pense que pour d’autres, c’est une manière d’éviter le jugement d’égoïsme qui pèse sur leur décision. Cela revient à dire que si elles font ce choix, ce n’est pas « pour elle », mais dans une logique altruiste… Cet altruisme que la société s’attend à retrouver derrière la majorité des choix d’une femme.

Pour ma part, je peux aujourd’hui affirmer que si je ne fais pas un autre enfant, ce n’est pas pour sauver le monde ou éviter l’extinction des pandas roux. J’aime d’ailleurs suffisamment ces animaux pour ne pas leur faire porter le choix de ma décision. Je n’ai pas d’autre enfant car je vis avec un conjoint que j’aime, une fille que j’aime, et je me sens heureuse aussi.

Alors si d’aventure il vous reste un brin de jugement par rapport à ce choix, je vous propose de tourner la chose dans l’autre sens : Vous voulez deux enfants ?

Pourquoi ?

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