La vérité sort de la bouche des enfants. Vraiment?

Chaque parent d’enfant en âge de parole a déjà au moins une fois été confronté aux mensonges de celui-ci. Ces mensonges peuvent tour à tour faire sourire (lorsque l’enfant, petit, invente des histoires rocambolesques dans lesquelles il peut voler, être invisible, faire de la magie, etc), nous agacer (lorsqu’il refuse d’admettre une bêtise) ou nous inquiéter (lorsque les mensonges sont très fréquents et que l’enfant, plus grand, devient de plus en plus habile pour cacher la vérité). D’une manière générale, une fois que nous estimons que l’enfant est capable de faire la distinction entre le monde réel et le monde imaginaire, ce comportement dérange. Et pour cause, nous avons grandi avec l’idée fermement ancrée que « Mentir, c’est mal ».

Alors, si mentir c’est mal, les menteurs sont de mauvaises personnes. Et nous ne voulons pas que nos enfants soient de mauvaises personnes n’est-ce pas ?

Je vous propose de casser le paradigme Mentir = Etre mauvais. Car soyons franc, si nous l’appliquons à la lettre, y a-t-il une personne parmi nous qui puisse se targuer d’avoir été 100% honnête depuis son premier souffle ? J’en doute. Cela fait-il de nous toutes et tous des mauvaises personnes, donnant naissance à de mauvais enfants ? Certainement pas.

En fait, mentir, pour un enfant, c’est normal. Jusqu’à un certain stade, et dans une certaine mesure. Cela fait partie de son développement. Au même titre qu’il passe par une période durant laquelle il s’oppose (vous savez, celle où il dit NON 400 fois par jour), l’enfant passe par une longue phase durant laquelle il se sert du mensonge comme outil de construction identitaire.

Durant la phase d’opposition (dès 18 mois environ) il utilise en effet le mensonge pour poser les bases de la construction de son identité, en se démarquant de celle de ses parents. A cet âge, il imagine que ses parents sont capables de lire dans ses pensées, et il ment pour s’opposer au vécu désagréable – voire angoissant – de pouvoir être perçu jusque dans ses pensées. Le mensonge lui sert à tenir les autres à l’écart de sa vie psychique. En mentant, il se rend imperméable aux autres, et cela l’aide à se construire en tant que MOI,  être indépendant.

Il peut aussi utiliser le mensonge pour éviter de s’opposer trop fermement. En disant « non » à quelque chose, il affirme haut et fort ne pas être en accord avec ses parents, et/ou avec les désirs de ceux-ci. Mais s’il craint les conséquences de ce « non », s’il a peur de perdre le lien en étant si catégorique, il peut utiliser le mensonge pour s’opposer de manière moins frontale. Vous savez c’est comme nous, adulte, qui préférons parfois dire : « J’ai déjà quelque chose de prévu » plutôt que « Je n’ai pas envie de venir à votre soirée. ».

Depuis 4 ans, il commence petit à petit à réaliser que ses parents, détenteurs de nombreux savoirs, refusent parfois de les lui livrer. Il perçoit qu’ils ne lui disent pas tout, voire même qu’ils déforment la vérité. « Maman, comment on fait les bébés ? ». L’enfant sait que nous savons, mais que nous ne voulons pas dire. Alors, pour se sentir sur un pied d’égalité avec nous, pour se sentir moins petit, moins impuissant, il décide lui aussi de mentir. Cela lui donne le pouvoir de connaître des choses que nous ignorons, et l’aide à lutter contre son sentiment d’impuissance. Ce mécanisme, bien sûr, se fait généralement de manière inconsciente : l’enfant sait qu’il ment, qu’il cache ou déforme la vérité, mais ne sait pas exactement pourquoi il le fait.

Puis, alors qu’il entre dans la phase dite œdipienne (entre 6 et 9 ans), l’enfant cherche à s’immiscer dans l’intimité du couple parental, à prendre la place de l’un des membres, tout en écartant l’autre. Les mensonges à cet âge peuvent être utilisés pour arriver à ses fins, selon l’adage « diviser pour mieux régner ». « Papa il m’a dit que c’était ok de faire du trampoline sur le canapé ». « Maman est d’accord, elle, qu’on lise 3 histoires… ». La tentative va vite échouer face à un couple uni et adoptant des lignes éducatives majoritairement similaires. Elle va par contre pouvoir redoubler de fréquence si l’enfant sent une faille, et entrevoit – toujours inconsciemment – la possibilité de complètement exclure un des membres du couple pour prendre sa place dans l’attention de l’autre.

A cet âge, et durant l’adolescence, il peut aussi mentir pour d’autres raisons :

« L’enfant peut mentir par intérêt : pour épater la galerie, pour attirer l’attention vers lui, se faire des amis, exprimer son besoin d’être valorisé. (…) pour obtenir quelque chose ou arriver à ses fins (…) L’enfant peut mentir pour se protéger ou se défendre d’une situation anxiogène : pressions, jeux d’influence, risque de punition, menaces, etc. (…) pour éviter une responsabilité ou encore face à l’angoisse devant un obstacle, par peur de l’échec, ou écrasé par un sentiment de faute.

Mais l’enfant peut également, pris dans des conflits entre ses adultes tutélaires, mentir par soumission au désir de l’autre, ou par imitation, intimidation, par sacrifice. »[1]

Ainsi, les raisons qui poussent un enfant à mentir, quel que soit son âge, peuvent être multiples, et il n’est parfois pas aisé de les cerner. L’important est de se rappeler que le mensonge a toujours une fonction, qu’il dit quelque chose de l’enfant, de ce qu’il vit. Il n’est pas un juste « un vilain défaut » à blâmer et à tenter d’éradiquer à la manière forte, mais peut être vu comme une opportunité de comprendre le vécu de notre enfant. Ainsi, le punir ou l’humilier en réponse à un mensonge (en le « coinçant » par exemple, lorsque l’on sait qu’il a menti mais qu’on attend qu’il crache le morceau) peut s’avérer contre-productif, et altérer la confiance de notre enfant en nous ; or un lien sans confiance est un terreau favorable aux mensonges chroniques, qui peuvent alors dire quelque chose d’un mal-être plus profond de l’enfant.

La prise en compte de son utilité permet de se questionner sur le type de réponse que l’on veut apporter au mensonge. La réaction ne sera pas la même si le mensonge de notre enfant provient d’une faible estime de lui contre laquelle il tente de lutter, s’il apparaît dans une période où l’enfant souhaite prendre la place d’un de ses parents au sein du couple, ou s’il sert à éviter le désagrément de faire la vaisselle (« c’était déjà moi hier »). Certains peuvent être simplement relevés – « je sais que ce n’est pas la vérité », – éventuellement questionnés – « peux-tu me dire ce qui fait que tu préfères me raconter cette version plutôt que ce qui s’est vraiment passé ? ». D’autres doivent faire l’objet de discussions plus approfondies et de recadrages, éventuellement avec réparation si le mensonge a fait du tort à autrui « Tu as dit que la maîtresse t’avait tiré les cheveux. Ce n’est pas vrai. Ce que tu as dit peut donner de sérieux ennuis à la maîtresse. Qu’est-ce qui fait que tu as raconté cela ? Veux-tu rectifier ta version ? Que s’est-il réellement passé ? » puis réparation : « Ensuite, il faudra t’excuser auprès d’elle ». Dans tous les cas, l’intérêt de dire la vérité est à mettre en avant, de même que le courage qu’il faut parfois pour oser le faire. Car oui, être honnête, cela n’est pas toujours facile, mais cela peut s’apprendre, comme toute autre chose. Je vous jure. C’est vrai ! 😉


[1] Levy Haesvoets, Y.(2011) L’analyse psychologique du mensonge chez l’enfant : un défi pour l’expertise psycholégale de crédibilité, Enfance et psy.

Un commentaire

  1. M. dit :

    Coucou Méla,
    J’ai beaucoup apprécié ton article :):):) Quelques réminiscences…..de l’histoire de J-M….
    Bisous bisous et bonne soirée 😘 😘

    J’aime

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