Prendre du temps pour soi: entre besoin et culpabilité

Il y a quelques semaines, j’ai fait quelque chose d’incroyable. J’ai pris 3 jours pour moi.

Pour de vrai.

Sans personne.

C’est-à-dire que j’ai organisé cela avec mon conjoint, que j’ai réservé une chambre dans un hôtel à Berne et que je suis partie.

Berne, ce n’est pas très loin. Ce n’est pas non plus dépaysant. Mais Berne seule, ou où que ce soit d’autre, pendant 3 jours, ça ne m’est plus arrivé depuis la naissance de L., donc depuis plus de 5 ans.

Quand j’en ai parlé autour de moi, j’ai été surprise de la réaction des gens, particulièrement des mamans. Mon expérience semblait à la fois hautement enviable, et complètement inédite pour la plupart d’entre elles.

« J’adorerais faire cela ! », ça doit faire du bien ! », « Tu as tellement raison ! » « Seule, genre, vraiment seule, sans enfant ? », « C’était pour le boulot ? »

Oui, vraiment seule, non ce n’était pas pour le boulot et oui, ça fait beaucoup de bien !

Pourquoi j’ai fait ça ?

Parce que j’en avais besoin. Pour être franche, cela fait plusieurs années que ce projet m’habite, que je ressens la nécessité de me retrouver avec moi-même, que je me promets de le faire à chaque prochaines vacances, et que je finis par ne pas le faire. Je pourrais invoquer toutes sortes de bonnes raisons : pas le temps, envie de partager du temps en famille durant les vacances, difficultés de garde… mais aucune d’elles ne sonne vraiment juste. Si je suis honnête avec moi-même, la vraie raison, c’est que je ne m’en suis pas donné la permission jusque-là. Et là encore, quand je parle avec d’autres femmes, elles valident. « C’est vrai, je mets ça sur le dos des autres – travail / famille / conjoint..- mais en fait c’est moi qui me sens mal à l’idée de partir, de laisser les enfants. J’aurais l’impression d’être une mauvaise mère. »

Je ne connais pas le parcours de chacune de ces femmes, mais j’en connaissais certaines avant leur maternité, et je peux vous assurer qu’il était difficile d’imaginer plus indépendantes qu’elles. Des esprits libres, des voyageuses, pour une part, des anti-conformistes. Mais à l’heure de la maternité, presque toutes ont opéré un changement radical dans leur rapport à elles-mêmes et à leurs besoins.

Normal, bien entendu. Et souhaitable, en grande partie. Devenir mère entraine ce changement de focus nécessaire au bien-être (et à la survie) de l’enfant. Cet espèce d’état de fusion qui dans les premiers mois nous permet d’être entièrement réceptive aux besoins de notre enfant est naturel, biologique, et primordial pour l’évolution de l’enfant.

Mais passées les premières années, alors que les besoins de l’enfant ne sont plus aussi impérieux, qu’il va au monde avec sécurité et envie de découvrir, qu’il prend un grand plaisir en la compagnie des autres enfants, la plupart des femmes conservent le sentiment de devoir être le plus présente possible. Partir pour travailler, c’est plus ou moins ok (pour autant que le pourcentage ne soit pas trop élevé), mais partir pour soi ? Alors qu’elles sont déjà justement parties pour travailler ? Non, pas possible.

Cela s’explique selon moi par 2 choses : la culpabilité des mères, et le poids de la famille traditionnelle. Et les deux sont intimement liées. Je m’explique : dans la famille dite traditionnelle, modèle largement dominant jusque dans les années 70 (Voir l’article Poser des limites, trop ou trop peu ?) le père est responsable d’apporter l’argent du foyer, et la mère de s’occuper des enfants et des tâches domestiques. Le contrat implicite passé dans cette répartition des tâches est le suivant : la femme n’apporte pas d’argent à la maison mais offre en échange sa totale disponibilité, aussi bien à son mari qu’à ses enfants. Cette disponibilité est immuable dans le temps, et ne connaît pas de vacances.

Notre société a évolué, la répartition des tâches se module (un peu) différemment, mais ce bagage-là est resté, et les femmes se sentent le devoir d’être disponible pour leur famille en permanence, et ce même si elles apportent aujourd’hui également une partie du revenu du foyer. D’où le sentiment de culpabilité engendré par l’idée de prendre du temps pour soi. Il y a, quelque part dans la tête de la plupart d’entre nous, cette petite voix qui dit que ce n’est pas permis, que nous n’avons pas le droit, que ce faisant nous ne remplirions pas notre part du contrat. En oubliant que le contrat a changé… A cette culpabilité-là peuvent s’en ajouter bien d’autres, propres à chacune : « Mes enfants vont avoir le sentiment que je les abandonne », « Je travaille déjà trop, le peu de temps que j’ai je dois le passer avec eux », « Mon mari ne saura pas comment faire avec les enfants », « Cela va rajouter une trop grosse charge à mon mari qui travaille beaucoup », etc. Quand j’ai demandé aux mamans si leur conjoint s’opposerait à ce qu’elles prennent du temps pour elles, la quasi-totalité m’a répondu « Non, pas du tout, il m’encourage même ». Ce qui valide mon hypothèse selon laquelle ce sont habituellement les mères elles-mêmes qui s’empêchent de prendre ce temps.

C’était le cas en ce qui me concerne. Jusqu’à ce que je réalise un petit calcul très basique : 3 jours, sur 365… n’est-ce pas si minime que je ne devrais même pas me poser la question de me les accorder ? Surtout quand je constate les bienfaits de ces derniers.

Car partir seule, ce n’est pas uniquement ne plus être « branchée » sur les besoins de toute la famille en permanence, c’est se reconnecter aux siens. C’est se laisser sentir, minute après minute, ce que l’on souhaite pour soi, ce qui nous anime, ce qui nous fait envie. C’est nourrir un peu de cet amour de soi que l’on a parfois tendance à négliger ou à chercher là où il n’est pas, c’est-à-dire dans la reconnaissance des autres. C’est prendre un pas de recul sur notre vie, et de là pouvoir faire le tri entre ce que l’on aime profondément et que l’on souhaite soigner (dans le sens de prendre soin) et ce que l’on souhaite changer. C’est se sortir la « tête du guidon », voir les choses avec davantage d’objectivité, de clarté et de sérénité.

Dans mon cas, ça a été revenir remplie de moi, détendue et alignée. Une version de moi-même nettement préférable à celle qui peut se lancer dans le quotidien sans réfléchir, en se laissant contrarier par des banalités du quotidien, finalement sans importance. Remplie d’amour aussi, pour mon conjoint et L., dont j’ai eu le plaisir de m’ennuyer. A force d’avoir si peur d’abandonner les autres, on oublie parfois les bienfaits de la séparation.

Alors, pour revenir à mon titre, prendre du temps pour soi est selon moi un réel besoin, que je travaille à délier de la culpabilité. Je vous souhaite à toutes et à tous de pouvoir le faire également !  

6 commentaires

  1. Carine Cornaz Bays dit :

    Génial, merci et bravo! Becs Carine

    >

    J’aime

    1. Merci Carine pour ce retour enthousiaste!

      J’aime

  2. Anabela Resende dit :

    Super ce texte ! Ça donne du courage à toutes les mères et femmes. Merci Mélanie de l’avoir partagé

    J’aime

    1. Merci Anabela, je suis heureuse si mon texte peut générer ce genre d’effet 🙂

      J’aime

  3. Ciao,

    Comment ça fait plaisir de lire que tu as pris ces 3 jours pour toi !!!

    Chouette pour toi, et bravo pour ton texte, j’espère qu’il influencera plein d’autres mères. C’est en effet un job à 100%, on a pu tester avec les neveux. C’était intense et génial. On les aurait bien gardé une année de + :).

    Je t’embrasse fort, Nadine

    J’aime

    1. Merci Nadine pour ton retour. Je me réjouis d’entendre votre expérience avec les neveux! 🙂 Toute belle suite à vous deux, gros gros bisous!

      J’aime

Laisser un commentaire